Ce mois de mai aura finalement été très lumineux pour les passionnés de robotique qui auront suivi la visite de Colin Angle en France. En effet, cette étoile du domaine a accepté de nous recevoir à son hôtel pour nous parler de lui, de son entreprise, et de la philosophie qui a contribué à sa réussite et à une croissance impressionnante. Tel un Bill Gates nouvelle génération, il annonce déjà que d’ici dix ans, chaque famille aura ses robots d’assistance. Il nous en a convaincu !
iRobot est nĂ©e sous le nom d’IS Robotics en 1990, d’une collaboration entre trois contributeurs du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT : le professeur Rodney Brooks, 36 ans Ă l’époque, Helen Greiner et Colin Angle, 23 ans. Tous trois Ă©taient dĂ©jĂ engagĂ©s dans la production de robots de nettoyage pour l’industrie, mais leur motivation tournait principalement autour des robots d’exploration spatiale.
Après l’échec d’un projet de robot d’exploration lunaire basĂ© sur la revente des clichĂ©s photographiques, le robot d’exploration Sojourner est envoyĂ© avec succès sur Mars en 1997. Ce projet a permis Ă Colin Angle de flirter avec la NASA, de dĂ©velopper des robots d’inspection de puits de pĂ©trole et des jouets comme Hasbro, et de crĂ©er les atouts qui font aujourd’hui de sa sociĂ©tĂ© un acteur incontournable de la robotique domestique.
En 2002, riche de l’expérience algorithmique accumulée sur les robots d’exploration militaires, le robot aspirateur Roomba est un succès mondial. Six semaines seulement après son lancement, le Roomba dont le budget publicitaire n’était pas très élevé a tellement suscité la curiosité des journalistes que 2000 articles et reportages étaient parus aux Etats-Unis, y compris dans le “Wall Street Journal”. Les trois premiers mois de vie du produit ont généré 70 000 ventes soit dix fois les chiffres prévisionnels.
En seulement vingt-trois ans, la compagnie a cumulé à son actif une vingtaine de robots, est passée de quatre à plus de cinq-cents employés, a vendu plus de 9 millions d’aspirateurs Roomba, est cotée au Nasdac (2005), et a atteint un chiffre d’affaires de 436 millions de dollars (2012).
Nous sommes donc un beau jour de mai dans l’enceinte d’un hôtel dont le luxe est à la hauteur de la réussite de la société. Colin Angle, aujourd’hui 48 ans, PDG de iRobot, assis à côté de ses nouveaux petits jouets, les Braava 320 et 380 issus du rachat d’Evolution Robotics, est prêt à répondre à nos questions.
Shy Robotics : Bonjour Monsieur Colin Angle, nous allons commencer par une question un peu intime qui porte sur vos origines. On constate chez vous une maîtrise et un recul sur les technologies et le marché sur lesquels vous vous êtes lancé. Cette culture de l’ingénierie est-elle héréditaire ? Ou avez-vous évolué un dans environnement propice à ce développement ?
Colin Angle : Dans ma famille, mon beau-père est ingénieur et mes trois demi-frères ainés le sont également. Mon père est un homme d’affaires et ma mère avocate. Quant à mon frère le plus proche, il est philosophe. Il y a une certaine mixité dans mon environnement, mais il est bien vrai que l’on est assez scientifique.
[004-Les origines de Colin Angle, PDG de iRobot]
Shy Robotics : Comment la robotique a-t-elle commencé dans votre vie, et à partir de quel moment avez-vous pris conscience que vos créations pouvaient se vendre ?
Colin Angle : Je ne me souviens plus exactement quand la robotique a commencé dans ma vie, mais ça a toujours été une passion. J’ai toujours eu cette envie de construire. Elle a commencé avec mon attirance pour les “Legos”, “Fischertechnik”, les engins qui pourraient m’apporter une glace ou un verre à l’autre bout de la pièce. Ce désir de construire était très important pour moi.
[002-Les débuts de la robotique pour Colin Angle (Partie 1)]
[006-Les débuts de la robotique pour Colin Angle (Partie 2)]
[018-Les débuts de la robotique pour Colin Angle (Partie 3)]
Lorsque j’étais étudiant au MIT, j’ai voulu créer une “majeure” pour satisfaire ce désir. Je n’étais pas uniquement un ingénieur en électronique ou mécanique, mais je m’intéressais également aux sciences informatiques, mécatroniques et au monde des affaires. Car ma motivation n’était pas juste pour les sciences, mais aussi pour les faire devenir réalité. Ce désir pragmatique a toujours été très important. Quand je suis allé voir Star Wars pour la première fois, mon robot préféré n’était ni R2-D2 ou C-3PO, mais MSE-6 le petit robot noir qui circulait dans ”Death stars” et qui suivait les personnes.
C’était marrant, car j’imaginais qu’il était possible de réaliser ce type de robot, et que c’était utile. Contrairement à R2-D2 et C-3PO, trop proches des caractéristiques intellectuelles humaines.
Le premier projet d’iRobot que j’ai vu comme commercial était un robot d’exploration. Donc le buisiness plan original d’iRobot était d’envoyer un robot sur la lune et de vendre les droits pour réaliser un film. La chose intéressante, c’est à quel point nous sommes allés loin. Nous avons développé un petit prototype de robot planétaire en collaboration avec la NASA pour lui envoyer les données que le Rover aurait pu collecter, ainsi qu’au producteur du film “The Blues Brothers”. Donc nous avions un plan plutôt bon, mais nous n’avons pas pu aller plus loin. Cependant, cela a contribué au développement des rovers soldats que nous vendons aujourd’hui. Je ne sais pas si ce projet peut être vu comme commercial, mais c’est de cette manière que nous avons débuté. Ensuite, nous avons vendu des robots aux institutions de recherche. Donc si vous avez un laboratoire de R&D, comme cela se fait déjà beaucoup au Japon, nous vous vendrions un robot dont vous n’auriez à vous préoccuper que du logiciel de plus haut niveau.
Shy Robotics : Que sont devenu les autres fondateurs de la société ?
Colin Angle : Rodney Brooks et Helen Greiner ont tout deux créé leurs sociétés de robotique. Rodney dirige Rethink Robotics qui développe un robot de production. Helen dirige quant-à elle Cyphy Works qui développe de petits robots aériens.
Shy Robotics : Comment votre société est-elle organisée ?
Colin Angle : On trouve aujourd’hui trois divisions, chacune ciblant un secteur bien particulier. La division consacrĂ©e Ă la dĂ©fense et Ă la sĂ©curitĂ© couvrait encore en 2010, cinquante pourcent des revenus de la sociĂ©tĂ© grâce, notamment, Ă l’utilisation des Packbots en Irak. Aujourd’hui, cette gamme de robots capables de manĹ“uvrer en milieux hostiles tels que des environnements radioactifs ou minĂ©s, ne reprĂ©sente plus que dix pourcent du chiffre d’affaires. C’est du Ă la montĂ©e de l’intĂ©rĂŞt des robots mĂ©nagers pour les particuliers, et aux Ă©conomies rĂ©alisĂ©es par l’Etat amĂ©ricain dans le domaine de la dĂ©fense.
Pour la défense, nous développons à la fois des robots terrestres (UGV) et sous-marins (UUV). Deux Packbot et deux 710 Warrior avaient par exemple été utilisés pour effectuer des missions d’arrosage à Fukushima lors de l’incident des centrales nucléaires. Depuis, les packbots poursuivent leur action puisque leur prochaine mission est déjà programmée pour assurer la sécurité des JO de Rio en 2016.
Colin Angle : L’assistance domestique qui reprĂ©sente quatre-vingt-dix pourcent du chiffre d’affaires de la sociĂ©tĂ© a pour objectif d’aider aux tâches mĂ©nagères pĂ©nibles que l’on rencontre quotidiennement. Le but est de garder une maison propre avec le moins de contribution humaine possible, en donnant l’impression qu’un ou une chargĂ© de mĂ©nage est passĂ© dans la journĂ©e.
Le robot domestique idéal serait un robot qui accomplirait ses tâches directement après une pression du bouton de démarrage. Les produits que nous developpons pour atteindre cet objectif sont le Roomba (aspirateur), le Scooba (laveur), le Mirra (nettoyeur de piscine), le Looj (nettoyeur de goutières), et le Scooba 230 (laveur de salles de bains), et le dernier né, le robot nettoyeur Braava.
La troisième division qui Ă©clot tout juste au sein d’iRobot n’est pas encore reprĂ©sentative dans le volume de chiffre d’affaires, mais a un avenir certain dans l’assistance mĂ©dicale. Le projet phare de cette division, rĂ©alisĂ© en collaboration avec InTouch Health, est RP-Vita, un robot de tĂ©lĂ©prĂ©sence qui permet au mĂ©decin de guider le personnel mĂ©dical lorsqu’il ne peut pas se dĂ©placer. Il n’est pas normal qu’une personne vivant dans un lieu reculĂ© ne puisse pas bĂ©nĂ©ficier des mĂŞmes diagnostiques de mĂ©decin qu’une personne habitant en ville.
Shy Robotics : Concernant le segment des robots ménagers, vous nous avez donné l’opportunité d’en tester plusieurs. Pendant nos tests, nous avons évidemment relevé quelques défauts que l’on retrouve chez la plupart de vos concurrents. Le premier test que nous avons effectué est assez simple puisque nous avons démarré le robot aspirateur Roomba 780 dans une pièce peuplée de poils de chiens. Notre premier constat est que votre robot est parfaitement conçu pour que ces nombreux poils soient faciles à retirer manuellement des brosses.
Notre second constat est que la présence d’une seule brosse latérale sur la gauche du robot n’est pas suffisante pour nettoyer les angles d’une maison. Et notre troisième constat est que la ménagère qui pensait être débarrassée d’une tâche embarrassante se retrouve à vider le réservoir de poussière toutes les cinq minutes. Avez-vous pensé à un système de vidage automatique via la base de chargement des batteries robot ? Une sorte de poubelle qui viendrait aspirer ce que le robot vient de ramasser lorsqu’il est plein par exemple ?
Colin Angle : En tant qu’entreprise côtée en bourse, nous ne pouvons discuter de fonctionnalités qui n’ont pas encore été développée. Le but principal du Roomba est d’exécuter son rôle d’aspirateur tout en étant accessible au grand public. Le Roomba nettoie le sol de façon performante et efficace. Concernant la poubelle, lorsque le Roomba est utilisé tous les jours, la quantité de poils d’animaux à retirer après son travail est moins importante.
Shy Robotics : Lors de ces mêmes tests, une question nous est venu en tant que pures consommateurs : Si j’avais la possibilité d’essayer l’ensemble des robots ménagers sur le marché, sur quels critères pourrais-je dire qu’un robot est meilleur qu’un autre ?
Colin Angle : Chez iRobot, nous jugeons le Roomba en fonction de son efficacité au nettoyage du sol. Finalement, c’est ce que le client recherche en achetant un robot aspirateur. Si le robot est doté de technologies de pointe et qu’il ne joue pas son rôle correctement, quelle est son utilité ? Avec le Roomba, nous avons créé un robot simple d’utilisation et efficace dans la tâche qui lui est destinée.
Shy Robotics : D’où vient l’idée d’iRobot et du modèle que vous avez suivi ?
Colin Angle : L’idée fondamentale était de transformer les robots de science fiction en robots réels. Comme beaucoup de monde, j’ai vu de nombreux films produits par Hollywood dans lesquels nous voyions des robots interagir. L’idée des robots a vraiment émergé dans les années soixantes. Ma mission était de créer des robots qui avaient plus de valeur que leur coût de fabrication. Nous aurions l’opportunité d’en créer de plus en plus et de payer nos salariés en même temps. C’était vraiment très pragmatique et la mission de la société est : Créer des robots simples d’utilisation, fournir des produits de qualité, générer des revenus, s’amuser, et changer le monde. Notre mission originale a toujours été explicite : Un robot est un bon robot s’il réalise quelque chose d’utile, à valeur ajoutée.
[016-Origines de l’idĂ©e d’iRobot]
Shy Robotics : Que pensez-vous des robots de télé-présence dans les entreprises et des interfaces tactiles qui les habitent de plus en plus ?
Colin Angle : Nous travaillons sur le sujet depuis 1999. Le défi clef n’est pas juste la réalisation d’un robot. Le défi clef est “l’expérience utilisateur” dans le contexte où le robot se déplace. Si je prends un iPad et que j’y installe des roues, je n’ai pas créé un robot très intéressant puisque “l’expérience utilisateur” consiste en un flux vidéo très faible avec un microphone très petit. La caméra n’a pas un champ de vue très grand, et le zoom n’est pas très bon. Donc je ne pourrai pas vraiment profiter de son utilisation. “Regardez ! Je peux conduire mon iPad !” Cela serait excitant quelques minutes, mais ce n’est pas un outil professionnel. Donc je pourrais vendre quelques-uns de ces robots, faire de l’argent avec ça, mais je n’ai pas créé une alternative viable pour tenir un marché ou faire le diagnostic d’un patient. Vous avez besoin d’un système bien plus sophistiqué pour le faire.
Si le robot prend le téléphone et vous le pose sur le coin de la table, c’est très mignon ! Mais ce n’est pas une industrie. Donc nous essayons de créer des robots utiles aux personnes, même s’ils sont plus chers. Ce n’est pas grâve ! Car si vous faites quelque chose qui a une valeur ajoutée significative, alors un professionnel en voudra un pour mieux faire son travail.
Pensez au robot de téléprésence qui a pour but d’assister un médecin. Le médecin reçoit l’appel d’un patient gravement blessé et il faut que celui-ci établisse un diagnostic au plus vite pour que les premiers soins vitaux soient pratiqués. C’est alors qu’il ouvre son iPad, lance son application, et clique sur la chambre qu’il est sensé aller visiter. Il n’est jamais allé dans cet hôpital auparavant, mais le robot y va sans problème, car il connaît son chemin. Le docteur n’a pas besoin de savoir contrôler le robot comme s’il se trouvait dans un jeu vidéo. Une fois dans la salle, le docteur peut lire les panneaux qui décrivent l’état du patient grâce à une caméra haute définition, et lui parler. Il peut demander à l’infirmière d’effectuer des mesures qui lui seront directement envoyées. Une fois le travail terminé, le docteur salue le patient et le robot retourne dans sa zone d’attente de lui-même. Grâce à cette autonomie dont le robot fait preuve, les processus demeurent inchangés dans l’hôpital.
Nous ne changerons rien au processus de traitement médical dans les hôpitaux, mais avec ce robot il est possible d’ajouter un vrai plus au traitement des patients. Nous pouvons à l’aide de la vidéo à haute définition, voir le patient, parler avec lui, avec les médecins puis conduire un diagnostique aussi efficace que si le médecin était présent sur les lieux.
Nous sommes prêts à dire que le RP-Vita qui répond à ces problématiques, est un futur produit à succès sachant que nous avons de très bons retours des 24 robots qui sont déjà en circulation dans 7 hôpitaux et cliniques aux Etats-Unis.
[026-Les robots de téléprésence (Partie 2)
025-Les robots de téléprésence (Partie 1)]
Shy Robotics : Le projet Ava vise des applications de communication, de sécurité, de surveillance des malades, de visite à distance, etc. Un des points communs visibles avec RP-Vita est sa forme et le fait qu’il soit doté d’une IHM de type tablette tactile. Il y a deux ans, vos laboratoires étudiaient une façon de lui donner la faculté de se déplacer de manière autonome dans un appartement par exemple. L’un de vos projets militaires s’intéressait aussi à ce type de fonctionnalités. RP-Vita est-il lié à ces projets ? Sera-t-il également capable de coordonner les autres robots iRobot en fonction du besoin utilisateur ?
Colin Angle : Ava est une plateforme robotique mobile qui a une grande variété d’applications possibles. RP-VITA utilise la plateforme Ava pour naviguer dans les hôpitaux et donne la possibilité aux docteurs de communiquer avec leurs patients depuis n’importe où dans le monde. Le Ava 500 récemment annoncé utilise cette même plateforme pour naviguer dans les bureaux. Nous sentons que la plateforme Ava a un potentiel énorme sur un grand nombre de marchés, incluant la vente au détail et la sécurité.
Shy Robotics : Parmis vos produits, comme pour la plupart des robots sur le marché aujourd’hui, le point faible est souvent le manque d’accessibilité aux étages des maisons. Etudiez-vous la possibilité d’intégrer des jambes à RP-Vita par exemple ?
Colin Angle : Je pense que se concentrer sur le développement de jambes est une erreur. Les jambes ne sont pas un bon créneau car elles sont très chères et très lentes. Pour ces robots qui ont besoin de monter les étages dans les hôpitaux, il y a des ascenseurs et cette solution est bien plus performante. Nous avons nous-mêmes réfléchis à des solutions pour monter les escaliers dans des cas bien particuliers et nous avons produit le Packbot qui se débarasse de cette problématique d’équilibre que les jambes imposent.
Shy Robotics : Voici une vidéo du Packbot en action :
[022-Les robots humanoïdes et les jambes assimilés aux robots aspirateurs]
Shy Robotics : On constate que vos produits ciblent chacun une tâche bien particulière. Que pensez-vous des robots multifonctions comme les robots humanoïdes d’assistance ?
Colin Angle : Dans ma vision du futur, un robot unique n’est pas une si bonne idĂ©e. Contrairement Ă de petits robots, la grande difficultĂ© d’un grand sera de ne pas pouvoir aller dans des endroits Ă©triquĂ©s. De plus, l’Ă©nergie que demande un grand robot est liĂ©e Ă ses dimensions, son volume et son poids. Un seul robot multifonctions utilise autant d’Ă©nergie que de très nombreux petits robots. Je pense qu’il est prĂ©fĂ©rable d’avoir plusieurs petits robots indĂ©pendants qui travaillent ensemble, avec peut-ĂŞtre un robot avec qui vous discuterez et qui coordonnera les ordres aux autres robots.
Shy Robotics : Vous ne croyez donc pas en la série Real Humans dans laquelle les robots multifonctions prennent le pouvoir petit à petit ?
Colin Angle : Beaucoup de séries télévisées et de films ont exploité cette représentation du robot de service : L’humanoïde. Mais ce n’est pas réaliste. Chez iRobot, nous nous concentrons sur les robots adaptés aux besoins de la population actuelle. Ces robots permettent de communiquer à travers le monde, de nettoyer les habitations, et contribuent à l’assistance militaire et l’application des lois.
Shy Robotics : Aujourd’hui, iRobot commence à prendre une place significative dans le secteur des produits domestiques. Avec une équipe qui est passée de 10 à plus de 500 contributeurs, avez-vous réussi à garder un oeil technique sur vos produits ? Contribuez-vous toujours à leur développement technique ?
Colin Angle : Je continue à m’intéresser à la technique pour m’amuser. Nous avons la plateforme robotique AVA qui est un robot doté d’une tablette tactile. J’ai donc développé une petite application pour iPad qui pourrait le contrôler. Mais je me concentre principalement aujourd’hui sur la branche affaires de la société et son développement commercial, et je m’assure que chaque projet fait sens. Donc aujourd’hui, ma contribution technique est devenue un passe temps, mais mon travail, c’est les affaires.
[008-Colin Angle et la technique des robots]
Shy Robotics : Est-il frustrant de ne plus maîtriser le côté technique de vos produits et de le déléguer à vos ingénieurs ?
Colin Angle : Pas tant que ça. Je garde une grande satisfaction de ce que iRobot est devenu, et je souhaite continuer Ă mener iRobot en me concentrant sur un business viable et pas juste sur la partie technique. Donc je me sens toujours en charge d’un sujet très intĂ©ressant et je continue Ă prendre plaisir Ă contribuer Ă la rĂ©alisation des produits. Mais il y a une chose que vous apprenez quand vous crĂ©ez une sociĂ©tĂ© : Il arrive un moment oĂą vous devez cesser de fabriquer vous-mĂŞme les choses et laisser les autres le faire pour vous concentrer sur l’évolution et le bon fonctionnement de votre crĂ©ation. Je me souviens que j’adorais rĂ©aliser le modèle 3D des robots, mais arriva le jour oĂą j’ai demandĂ© Ă un jeune embauchĂ© de prendre la main… Il l’a fait tellement mieux et rapidement que je ne pouvais le faire que je me suis rendu compte qu’il Ă©tait temps de passer la main sur ces aspects des produits de ma sociĂ©tĂ©. Beaucoup de PDG d’entreprises arrivent Ă ce niveau et font appel Ă un nouveau PDG pour pouvoir continuer Ă se concentrer sur leur contribution technique car ils n’apprĂ©cient pas de s’éloigner autant de leurs produits. En ce qui me concerne, j’aime tous les aspects et donc je suis heureux Ă ma place : Construire une sociĂ©tĂ© est pour moi aussi excitant que construire un robot.
[010-Quand le chef doit déléguer pour que sa société poursuive son évolution]
Shy Robotics : Vous êtes désormais à la tête d’une société dont la taille ne vous permet plus de serrer la main de chacun de vos salariés chaque matin. Comment faites-vous pour garder la dynamique d’équipe que vous pouviez avoir à vos débuts ?
Colin Angle : C’est très difficile car iRobot est à une taille à laquelle il est impossible pour moi d’intéragir avec chacun de mes salariés régulièrement, mais je pense que mon travail est plutôt de me concentrer sur l’environnement de travail, sur la culture de l’entreprise. Est-ce un endroit où les gens se sentent motivés à être créatifs pour inventer de nouvelles choses ? C’est un défi à mon échelle car je ne peux pas juste chaque jour demander individuellement : “Quelle est votre idée ? Que pouvons-nous faire ?” Je fais celà au travers d’autres personnes et si je vois quelque chose qui pourrait affecter l’environnement de façon très négative, alors je dois me déplacer, le comprendre et le corriger.
J’ai différents outils pour cela, et j’espère avoir créé un environnement où les gens se sentent libres d’essayer de nouvelles choses et de prendre quelques risques. Nous n’accordons certes, pas autant de temps que Google à ce genre d’activités, mais nous en accordons. 12% de notre revenu est réservé à la R&D, ce qui correspond à 50 millions de dollars chaque année (38,5 millions d’euros). Nous achetons également des start-up très spécialisées dans la robotique pour compléter nos domaines de recherche, et nous nous intéressons aux secteurs des télécoms ou du jeu vidéo qui ont fait énormément progresser la robotique. Pour ne pas le citer, le projet Kinect de Microsoft a permis au grand public d’exploiter une technologie optique qui coûtait une petite fortune dans le monde militaire et qui existait depuis des années.
Nous venons tout juste de démarrer un programme selon lequel si vous souhaitez travailler hors de vos horaires habituels ou dans un autre contexte, vous le pouvez. Certains employés vont dans les écoles pour faire découvrir la robotique aux tous petits par exemple. C’est toujours incroyable de voir l’extase des moins de 10 ans lorsque vous leurs faites découvrir des robots bien réels.
Je suis impressionné de voir comment mon entreprise s’est développée, pour que l’environnement soit finalement profitable non seulement pour les ingénieurs, mais aussi pour les vendeurs, les marketers, les managers, etc. Un véritable écosystème a vu le jour et fonctionne. Cela m’aide également à me dire que ce n’est pas grave si je ne suis pas un expert, puisque nous sommes un groupe.
[030-Le dynamisme chez iRobot (Partie 2)
012-Le dynamisme chez iRobot (Partie 1)]
Shy Robotics : Etes-vous ce genre de personne qui est tellement passionnée par son travail qu’elle ne pense pas à la retraite ?
Quelle retraite ?
A ce propos, notre objectif à long terme est justement d’aider les populations vieillissantes. Il faut savoir que d’ici 10 ans, la population de plus de 65 ans va doubler. Les robots d’assistance à la personne comme les robots ménagers permettront à cette population de se soulager de tâches qui peuvent être lourdes. A long terme, les objets intelligents vont de plus en plus s’introduire dans nos vies et permettront aux personnes âgées de conserver une autonomie et une intimité plus longtemps.
[014-La retraite selon Colin Angle, l’assistance Ă la personne]
Shy Robotics : Comment trouver vous de nouvelles idées ? Quel est le secret de votre marketing ?
Colin Angle : Nous faisons appel à des sociétés d’études marketing extérieures de différents secteurs. Nous consultons régulièrement GFK, le plus grand institut d’études marketing situé en Allemagne. Ces études permettent de conforter nos choix et contribuent à positionner nos offres correctement et à les optimiser si besoin.
Pour savoir si un client va s’intéresser à nos produits, nous utilisons un outil très simple : un repère à deux dimensions sur lequel nous faisons cohabiter le niveau de pénibilité d’une tâche avec la fréquence à laquelle le client va y être soumis. Si vous vous situez dans la partie de l’axe où vous devez effectuer une tâche vraiment très pénible chaque jour, alors vous allez accorder un intérêt particulier à nos produits. L’exemple du robot aspirateur bon puisque c’est un produit domestique que l’on exploite très régulièrement sans y prendre réellement de plaisir.
Lorsque le produit proposé est validé, alors il subit une période de tests. Ce sont des périodes très longues qui permettent de lancer un produit qui fonctionne avec le public visé et d’éviter une catastrophe commerciale.
[024-Les nouvelles idĂ©es et l’inspiration chez iRobot (Partie 2)
028-Les nouvelles idĂ©es et l’inspiration chez iRobot (Partie 1)]
Shy Robotics : A combien estimez-vous le nombre d’utilisateurs de vos produits aujourd’hui dans le monde ? Quel oeil votre société a-t-elle sur la France ?
Colin Angle : Nous estimons aujourd’hui que 9 millions de foyers utilisent le Roomba. Le succès a été tel que le public parle plus du Roomba que de iRobot. La France est notre meilleur client de ce côté de la planète. Les français semblent les plus friands de ces technologies en Europe.
Shy Robotics : Maintenant que vous commencez à avoir un certain nombre de robots différents, employez-vous un langage de programmation universel ? Le langage utilisé est-il propre à votre société ou une solution éventuellement open source déjà existente, tel que le langue “Urbi” de la société Gostai ?
Colin Angle : Nous n’utilisons pas Urbi, car au cours du temps, nous avons développé nos propres bibliothèques en C et C++. L’uniformité de nos logiciels dépend de la puissance de calcul des robots, de leurs composants. Par exemple, le Roomba a un système d’exploitation codé en 16 bits tandis que le packbot fonctionne en 32 bits. Mais le logiciel est très modulaire, donc en fonction de ce que l’on souhaite réaliser, nous utilisons les logiciels que nous avons sur étagère.
Pour les robots militaires, nous voulons garder un très grand contrôle de nos plateformes. L’Open Source est bon pour certaines applications, mais pas forcément bien pour certifier le contrôle d’un gros robot avec un système d’évitement d’obstacles et de contrôle de moteurs. C’est la raison pour laquelle dans votre voiture, le logiciel critique qui contrôle le moteur est séparé de votre système de divertissement.
[036-Langage de programmation universel chez iRobot]
Shy Robotics : Comment vous projetez-vous dans les dix années à venir ? Comment pensez-vous faire évoluer votre société ?
Colin Angle : Je compte continuer Ă dĂ©velopper iRobot pour qu’elle devienne plus grande et toujours plus innovante. Aujourd’hui, les robots d’assitance coĂ»tent très chers. Pour cette raison, les hĂ´pitaux sont pour le moment les meilleurs clients pour ce type de technologie. Nous espĂ©rons qu’Ă l’avenir, l’investissement des hĂ´pitaux dans le dĂ©veloppement de ces technologies aura fait baisser les prix pour que les mĂŞmes services puissent atteindre nos foyers.
Shy Robotics : Pensez-vous que la robotique puisse encourager l’écologie ?
Colin Angle : Les robots peuvent être utilisés pour les besoins environnementaux. En fait, il y a plusieurs années, le robot sous-marin iRobot Seaglider était utilisé dans le Golf du Mexique pour contrôler la présence de marées noires après les problèmes que l’on a connu avec un grand groupe pétrolier. Ce robot a permis aux chercheurs de déterminer l’origine des fuites et les zones les plus affectées pour mettre en place des solutions de la manière la plus efficace possible.
Shy Robotics : Travaillez-vous sur une intelligence centralisée pour la domotique, qui permettrait à un robot de discuter avec les lampes, les aspirateurs, les fenêtres, etc. ?
Colin Angle : Nous pensons que le futur de la robotique à la maison va consister en plusieurs robots, chacun avec une spécialité. A terme, ces robots pourraient être contrôlés par un robot maître au sein de la maison, permettant aux utilisateurs de les contrôler tous à travers un.
Shy Robotics : Nous avons gardé une petite question technique de principe pour répondre à la gourmandise scientifique de nos lecteurs. Pourriez-vous nous expliquer brièvement le principe du GPS utilisé par le Braava ?
Colin Angle : Le NorthStar Navigation System fonctionne comme un GPS d’intérieur qui aide le Braava à pister les endroits qu’il a déjà visité et viser les endroits qu’il n’a pas encore exploré. Le NorthStar Navigation Cube projette un signal que le Braava utilise pour déterminer sa position géographique. Pendant que le Braava nettoie, il génère une carte de la pièce qu’il visite avec ses murs, les obstacles qu’elle contient et les trous (escaliers). Le Braava commence en nettoyant des zones ouvertes, se déplaçant de façon méthodique en favorisant un parcours en lignes parallèles dans un périmètre de balayage donné pour être sûr que le sol est complètement nettoyé.
Shy Robotics : Merci beaucoup d’avoir pris ce temps pour répondre à nos questions. Nous espérons vous revoir bientôt pour que vous nous contiez les nouvelles aventures de votre entreprise à l’avenir prometteur.
David LEBLANC
SĂ©bastien VIGO
Interview du 28 Mai 2013
Et rien que pour vous, chers lecteurs, une vidĂ©o de test d’un bĂ©bĂ© nettoyeur… d’un robot nettoyeur iRobot qui s’en sort plutĂ´t pas mal lorsqu’il rĂ©ussi Ă se faire piĂ©ger :
SAM 0565 from Shy Robotics on Vimeo.