Depuis l’intégration de la machine à vapeur dans les usines de production entre le XVIIIème et XIXème siècle, les entreprises industrielles tentent sans cesse de trouver de nouvelles façons d’automatiser les tâches pour devenir plus compétitives. Cette automatisation a toujours fait couler beaucoup d’encre, car pendant qu’elle a permis de rendre accessible à tous de nombreux biens et services, elle a également transformé beaucoup d’emplois. Rappelons nous de cette reine d’Angleterre, Elisabeth I, qui avait interdit le métier à filer inventé par William Lee en 1589 par peur que ses ouvrières perdent leur emplois.

Elisabeth I, Reine d’Angleterre de 1558 à 1603 (Wikipedia)

Pendant longtemps, cette automatisation a été vue comme un progrès gigantesque car on a pu diversifier les produits et apporter des réponses aux besoins massifs des populations. Cela a commencé avec le textile, s’est poursuivi avec l’automobile, l’aéronautique et l’informatique. Pendant tout ce temps, en répondant à des besoins, l’innovation en a créé de nouveaux. C’est la fameuse destruction créatrice de Joseph Schumpeter. Voler dans les airs est passé d’un rêve à un besoin économique. Communiquer sans fil est passé d’une curiosité à un besoin vital pour les parents inquiets pour leurs enfants dès le plus jeune âge. Confier des tâches intellectuelles aux ordinateurs est passé d’une utopie à une peur d’être remplacé.

Cette évolution a été incroyablement rapide, et nous sommes récemment entrés dans une ère où l’offre dépasse globalement la demande, et où l’impact sur les ressources et l’environnement amène de nouvelles inquiétudes. La vision actuelle du besoin est relative aux capacités d’achat des solutions proposées, et l’importance de la solution est jugée sur sa capacité à dynamiser une économie.

Ceci est beaucoup moins évoqué, mais nous sommes également entrés dans une période de transition de la production de biens vers la production de services grâce notamment à la nouvelle philosophie qui se cache derrière les objets connectés. Progressivement, il sera de moins en moins question de produire des biens low cost pour la masse, et de plus en plus question de produire des biens de qualité, durables, évolutifs et partageables tout en étant personnalisés pour coller à des services. C’est pourquoi les grands sujets de cette dernière décennie sont l’intelligence artificielle et les véhicules autonomes, le prolongement de la vie et le séquençage ADN, les loisirs et divertissements, les plateformes sociales et collaboratives, et de nombreux autres thèmes qui incarnent de moins en moins l’acquisition matérielle et de plus en plus l’expérience et la vie.

Pour les très grandes entreprises, l’automatisation et l’implémentation de nouvelles structurations de type Lean correspondent à des économies d’échelle relativement importantes qui permettent de déplacer progressivement les coûts de production de biens vers les coûts de distribution de services. La diminution du coût d’accès aux machines, qu’elles soient informatiques ou robotiques, a également permis d’adresser des propositions intéressantes a des entreprises beaucoup plus petites et à des artisans. On parle ici des cobots ou robots collaboratifs comme Baxter.

Seulement voilà, quand on adopte la vision « service », la distribution au client s’intègre dans la logistique au même niveau d’importance que celui de la production. On continue de parler de chaîne de distribution par abus de langage en mémoire de la livraison des biens. Jusqu’à il y a 10 ans, ce rôle était rempli par les magasins de grande distribution. Il fallait se rendre dans les magasins pour acheter et éventuellement passer commande en cas de rupture de stock. Progressivement, les plateformes en ligne de type « Marketplace » comme Amazon et Alibaba ont pris le relais et ont proposé de livrer les clients directement chez eux. Le principe de plateforme de centralisation des commandes s’étend aujourd’hui à tout un tas de services comme la livraison de nourriture avec Uber Eats, Deliveroo et Foodora, des services plus larges comme les VTC et les traiteurs, et des services autrefois sur supports physiques désormais délivrés en ligne comme les formations MooC et les vidéos en streaming de type Netflix.

La logique industrielle veut que l’humain soit utilisé comme une ressource temporaire, le temps de démontrer la viabilité d’un système et de l’assimiler à des standards ou des normes. Ensuite, il faut automatiser son rôle dans le processus et lui attribuer une nouvelle mission. La valeur de l’humain est sa capacité d’adaptation mise au service de l’évolution de la société. A partir du moment où la distribution au client final est intégrée dans la chaîne de production (du service), cette logique s’applique et le premier argument est l’économie d’échelle. C’est pourquoi Uber cherche à remplacer ses chauffeurs par des véhicules autonomes, Amazon réfléchi à des moyens alternatifs de livraison par drones, etc. D’ailleurs, Amazon est l’un des grands champions puisque la société a autant travaillé sur l’automatisation de ses centres de tri, que celle de la livraison à domicile et des points de vente physiques.

L’ensemble des agents, opérations et équipements animés pour apporter le service au client final s’appelle le « dernier kilomètre ». C’est un sujet extrêmement important aujourd’hui car celui qui réussira à l’automatiser aura réussi à résoudre l’un des plus grands goulots d’étranglement (freins dans une chaîne de production, également appelé entonnoir ou bottle neck) d’aujourd’hui.

En effet, on peut imaginer avec inquiétude que cette automatisation va à nouveau supprimer des emplois. Mais en réalité, tout comme dans les usines de production, les entreprises peinent à recruter pour ce dernier kilomètre. Nous ratons de nombreuses opportunités de vente (et donc de développement de l’emploi) parce que les compétences que nous avons développées dans les pays historiquement industriels sont ailleurs dans les entreprises.

D’autres problématiques se posent comme exposées dans l’excellente vidéo ci-dessous.

Dans ce contexte et pour cette cause, Ford a récemment présenté la dernière version de son robot Digit, combiné avec un camion de livraison autonome.

D’autres propositions se multiplient pour réduire le coût et les délais de ce dernier kilomètre.

De nombreuses innovations sont donc encore attendues dans le secteur de la grande distribution, pour que l’expérience client continue de s’améliorer, et pour retirer les freins du développement économique et de l’emploi. Les arguments écologiques associés sont diverses et seul l’avenir leur donnera raison ou tord, car nous vivons une véritable époque de transformation sur de nombreux points.

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