“En rendant l’ordinateur silencieux, on peut le transformer en chauffage, installer cette puissance informatique chez les gens, et la vendre. La condition étant la présence d’un accès au très haut débit (de type fibre optique).” (Paul Benoit, CEO de Qarnot Computing, Interview par Shy Innovation en 2014)

Le produit qui a fait connaĂ®tre Qarnot Computing…

Shy Innovation : En quelques mots, quel est le principe technique de l’innovation ?

Détail de la technologie physique présente dans le radiateur de Qarnot Computing.

Paul Benoit : Le principe technique de départ est le Qrad, le radiateur numérique à l’intérieur duquel on a remplacé les composants électriques (résistance) par des composants de calculs (processeurs). Il est relié à la fois au réseau électrique et au réseau fibre optique. L’utilisateur va sélectionner une température, et cela va agir sur l’allocation des calculs qui seront plus ou moins importants. Nous nous occupons de gérer cette puissance informatique et de la vendre à des clients qui en ont besoin. L’idée est d’extraire les faiblesses des data centers pour les transformer en force : Pas besoin de système de refroidissement, moins de consommation, une emprunte carbone réduite de ¾, etc.

Nous avons quand même besoin de points d’accès via des serveurs classiques, mais minimes car ils ne servent qu’à orienter l’information.

Shy Innovation : Comment gérez vous la problématique des saisons ou des points chauds ?

Paul Benoit : Par nature, nous avons une puissance de calcul saisonnière : Elle est plus grande en hiver qu’en été. Nous faisons exprès d’en avoir trop en hiver et pas assez en été, et nous dimensionnons notre clientèle en fonction de la disponibilité que l’on a au cours de l’année. Nous avons un fonctionnement qui permet, même en été, d’utiliser la puissance de calcul sans forcément chauffer, en gérant la masse demandée à chaque point.

Les déploiements se font aussi intelligemment. Par exemple, les écoles sont fermées l’été, donc on peut demander plus de calculs car la chaleur ne dérange personne.

Une histoire originale…

Shy Innovation : Peux-tu nous raconter la naissance de l’idée de Qarnot Computing ?

Paul Benoit : C’est une idée qui m’est venue en 2003, son origine est rigolote !

Je travaillais dans une banque, dans un département R&D qui faisait énormément de calculs de risques. Ces calculs étaient sous traités à des data center, des bâtiments remplis d’ordinateurs (serveurs) qui passent leur temps à calculer. On y consommait une puissance informatique énorme, et par conséquent une grande quantité d’électricité : 5000 serveurs tournaient jour et nuit. Les processeurs, composants électroniques en charge des calculs sur les serveurs, ont tendance à beaucoup chauffer lorsqu’on les sollicite : C’est du à l’effet Joule. Les Data Center sont donc équipés d’un gigantesque système de climatisation dont le seul but est de refroidir les processeurs.

Si on considère que le processeur est le moteur de l’ordinateur, alors on se rend compte que l’ordinateur est la seule machine au monde dont le moteur ne produit aucun bruit. La seule raison pour laquelle il fait du bruit, c’est parce qu’on a besoin de le refroidir.

Chez moi, j’utilisais aussi beaucoup mes ordinateurs et j’étais excédé par le bruit qu’ils produisaient. L’origine de ce bruit que l’on connait tous est le ventilateur, dont la mission est aussi de refroidir le processeur. Cette situation m’obligeait à éteindre mes ordinateurs chaque nuit. C’est ainsi que l’idée m’est venue de récupérer des ordinateurs à basse consommation, moins soumis à l’effet Joule. Plutôt que d’utiliser un ventilateur pour dissiper la chaleur, je pouvais utiliser un radiateur. En électronique, le radiateur est l’élément qui évacue la chaleur des composants comme les processeurs. Si on rassemble assez de processeurs équipés de radiateurs, et qu’on leur demande d’effectuer des calculs, alors on obtient le même résultat que si on activait le radiateur servant à réchauffer l’habitat.

Shy Innovation : C’est pour ça que les pièces encombrées d’ordinateurs allumés chauffent beaucoup !

Paul Benoit : Exactement ! Je me suis alors aperçu qu’il était possible de se chauffer en faisant faire des calculs à des ordinateurs : “Et si, comme un Data Center, je revendais la puissance de calcul de mes ordinateurs-radiateurs ? Je pourrai alors gagner de l’argent et la chaleur produite deviendrait utile !” Il fallait que je réussisse à louer à distance la puissance informatique que j’avais chez moi pour des clients comme la banque qui m’employait !

Donc c’est une idée assez simple sur la base du silence : En rendant l’ordinateur silencieux, on peut le transformer en chauffage, installer cette puissance informatique chez les gens, et la vendre. La condition étant la présence d’un accès au très haut débit (de type fibre optique).

En 2009, je me suis à nouveau posé la question en observant l’évolution des data centers et de leurs problématiques (climatisation, etc.). Et c’est en 2010 que j’ai décidé de créer Qarnot Computing. Nous avons surdimensionné volontairement le radiateur de manière à ce qu’il soit totalement passif, pour que les processeurs puissent fonctionner à la bonne température.

Avec la maturation du concept, nous nous sommes rendu compte que notre technologie répondait non seulement à des problématiques écologiques, mais aussi à des problématiques de sécurité. Les data centers consomment entre 2 et 5% de l’énergie de la planète et cette consommation double chaque année avec l’apparition des objets connectés : Les objets du quotidien vont produire plus de Data (données) et toutes les maisons du monde risquent d’envoyer leurs données à un seul Data Center si la logique actuelle ne change pas. Ca ne peut pas vraiment marcher comme ça : Non seulement il y a trop de données réorientées vers un seul point, mais il y a un manque clair de confidentialité. A chaque fois que tu parles, ça part sur le Cloud qui est très réel malgré les impressions, et pas forcément en France. Donc l’objectif est de traiter à nouveau l’information localement.

Shy Innovation : Tu as eu cette idée seul ?

Paul Benoit : J’ai eu cette idée sous la douche ! C’était à une époque où je m’intéressais aux nouvelles technologies, internet explosait et les idées avec. J’en avais discuté et les gens trouvaient ça rigollot. Les entreprises de l’époque trouvaient rentable l’investissement dans les Data Centers mais mon idée n’était pas intéressante quand je l’ai eue.

En 2009 je me suis à nouveau posé la question et j’ai pensé à monter une entreprise car ça ne se fait pas tout seul. C’est là que j’ai réfléchi sur le business model et que j’ai proposé l’idée à ceux qui sont ensuite devenu mes associés.

Il faut faire attention car une idĂ©e c’est bien ! Que ce soit une bonne idĂ©e parce que c’est Ă©colo, c’est bien aussi… mais ce qui est important, c’est qu’il y ait de l’argent Ă  gagner avec ! Donc j’en ai parlĂ© Ă  mon associĂ© actuel qui est Miroslav SVIEZENY, patron d’une sociĂ©tĂ© qui s’appelle 4MTec qui fait de la R&D sur des systèmes mĂ©caniques, thermiques, etc. Je le connaissais par ma femme. Une chance !

Shy Innovation : Tu avais déjà un prototype ?

Paul Benoit : Non. J’avais des petits morceaux de prototypes pour montrer le principe, mais pas le produit fini.

Shy Innovation : Qu’est-ce qui a fait qu’il t’a fait confiance ?

Paul Benoit : A ce moment là, c’était une discussion ouverte. Mais j’ai d’abord travaillé à déposer un brevet avant de créer l’entreprise. Ensuite j’ai dessiné le concept, monté l’entreprise, trouvé des subventions pour faire le prototype, etc. Quand tu rentres dans le hardware (le matériel électronique) c’est assez coûteux, donc il fallait des fonds. On a réalisé les prototypes avec son équipe et au bout d’un an on avait quelque chose d’efficace. On faisait tourner les calculs de Berkeley, des principes de Volonteer Computing du type “folding at home”, ce genre de chose. On avait une barre de radiateur, ça marchait. On a augmenté les barres et les processeurs, on s’est associé, etc.

La stratégie de Qarnot Computing…

Shy Innovation : Qu’est-ce qui a fait que tu as sauté le pas ?

Paul Benoit : Comme souvent en situation de crise, des aides à la création d’entreprise ont été mise en place entre 2008 et 2009. J’avais plusieurs projets en tête, dont celui-là qui était le plus fou. C’est en en étudiant la faisabilité et regardant où je pouvais trouver les fonds, que je me suis rendu compte qu’il existait “l’aide à la maturation de projet” par exemple. C’était plus fort que moi, il fallait que je le fasse.

Je m’intéressais beaucoup au mouvement des Makers depuis 2005-2006. L’un des projets que j’avais tournait autour de ça, et c’était la naissance d’Arduino (voir l’interview de Massimo Banzi). Arduino a eu un côté magique pour faire le prototype du radiateur ! Je voulais juste pouvoir contrôler l’allumage et l’extinction d’un ordinateur. Et ça, je pouvais le faire avec les cartes Arduino, même avec mon faible bagage électronique. Ca m’a permis, sur un coin de table chez moi, et avec des étudiants, de faire un premier prototype…

Shy Innovation : Tu as proposé ton projet à une école ?

Paul Benoit : Alors, effectivement. La première étape fût de réaliser un dossier de demande d’aides pour monter l’entreprise et avoir un plan de développement pour le premier prototype.

J’ai démarré le projet en 2010. La deuxième étape fût de rapidement déposer un dossier pour entrer dans l’incubateur de Telecom-Paritech qui est certainement l’un des incubateurs les plus reconnus en France.

L’intérêt d’intégrer un incubateur est d’avoir un lieu de travail, d’avoir contact avec d’autres entrepreneurs (dont des étudiants). L’entreprise, ce n’est pas juste un projet technique, c’est déposer des statuts, échanger avec des gens, et tu vois ceux qui réussissent et ceux qui échouent, l’association des gens, etc. C’est très important !

Shy Innovation : Ces aides t’ont permis de continuer à mener le même niveau de vie qu’en étant salarié ?

Paul Benoit : Non. Quand tu veux entreprendre, t’es motivé par le projet en lui même. Pendant 3 ans je ne me suis pas payé mais ce qui est génial en France, c’est que tu peux toucher le chômage lorsque tu as un projet entrepreneurial. J’avais mis un peu de sous de côté… c’est un sujet important car il faut être autonome, il ne faut pas être hyper dépensier. Tu ne sais pas à partir de quel moment tu vas pouvoir te payer. Et il ne faut pas que ce soit un sujet qui te mette en panique.

Shy Innovation : Mais pour se loger dans la région parisienne…

Paul Benoit : Oui mais j’ai un certain âge, j’avais déjà mon appartement. J’étais dans une situation où je pouvais le faire à condition de ne pas être sur des dépenses colossales. T’as quand même le chômage qui te permet d’avancer, des aides… Plus tard j’ai pu me payer un SMIC… c’est aussi pour dire qu’il y a des gens qui se salarient. Même pour les investisseurs c’est importants de se payer à un moment pour ne pas être pris pour un fou. Plus tard, on a pu se payer plus correctement. Il faut savoir que peu d’entreprises innovantes dépassent les 5 ans. L’objectif est que ton entreprise avance plus vite, ton salaire n’est pas la priorité !

Shy Innovation : As-tu entendu parler de Jérémy Riftkin ?

Paul Benoit : Oui bien sûr !

Shy Innovation : Il a émit une théorie selon laquelle chaque foyer produirait sa propre énergie, et en revendrait le surplus à un opérateur qui le distribuerait vers les foyers, immeubles ou entreprises qui en auraient besoin. J’ai l’impression que tu rejoins un peu cette idée.

Paul Benoit : Complètement ! Nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer Jérémy Riftkin. Il a évoqué son concept de la troisième révolution industrielle en 2011. Il se trouve qu’on a créé Qarnot avant. Ce qu’il appelle la troisième révolution industrielle, c’est la collaboration entre deux réseaux, deux grilles : Le réseau énergétique combiné avec le réseau d’information. Il dit qu’avec ces deux maillages, on peut imaginer mettre en réseau les producteurs et consommateurs d’énergies grâce à cette communication biface.

Notre radiateur, avec ses deux prises électrique et réseau, rentre exactement dans ce modèle. Jérémy Riftkin, dans un rapport qu’il a fait pour le Nord Pas de Calais, a parlé de Qarnot Computing pour illustrer le Smart Grid.

Cependant, n’oublions pas que le nom de Qarnot Computing est un hommage au père de la thermodynamique, Nicolas Léonard Sadi Carnot, qui avait déjà expliqué cette utilisation intelligente d’une machine. Il expliquait par exemple, qu’une machine qui chauffait devait être placée dans un endroit où on veut qu’elle chauffe.

Shy Innovation : Le brevet est utile sur une telle idée ?

Paul Benoit : Oui, c’est important de déposer un brevet quand on peut. Je ne suis pas un maniaque du brevet contrairement à beaucoup de gens : Ca consomme du temps. Mais c’est une des composantes de la protection de ta propriété industrielle, et c’est bien d’en poser. C’est un processus très long : du dépôt à l’obtention il y a plusieurs années. Au début ce n’est pas cher, mais ça le devient dans la durée. Mais ce n’est pas le cœur de la stratégie non plus !

L’autre aspect quand tu veux monter une entreprise, c’est que ça rassure les investisseurs.

Shy Innovation : Ce que je voyais c’était l’aspect protection pour prouver que l’idĂ©e Ă©tait bien la tienne, et toi tu m’expliques que c’est un peu comme un diplĂ´me pour rassurer les investisseurs…

Paul Benoit : Ca les rassure aussi pour une raison : ça valorise ton entreprise. Après… c’est l’un des éléments de valorisation de l’entreprise. Si tu prends l’exemple de Nest, leur valorisation est énorme car ils ont plein de brevets. Il y a de nombreux débats pour ou contre le brevet. Après il y a l’open source, mais le brevet existe, et si tu es amené à développer ta technologie, tu peux regretter de ne pas en avoir posé.

Shy Innovation : Dans ton cas combien ça a coûté ?

Paul Benoit : Au dĂ©but tu as des aides et ça coĂ»te entre 2000€ et 5000€ Ă  poser. Mais ensuite ça monte vite car tu dois penser Ă  l’international. Tu dois rĂ©aliser des dĂ©marches avec des spĂ©cialistes industriels. Mais c’est beaucoup plus tard, et ce sont de longs dossiers. Une fois ta demande de dĂ©pĂ´t remise, il ne se passe rien pendant 2 ans, puis tu as les extensions Ă  traduire dans d’autres langues, avec les subtilitĂ©s associĂ©es…

Mais ton avance technologique est aussi un élément important à côté du brevet : un savoir faire qui est valorisé. Tu peux aussi dire que c’est ton entreprise qui a mis ça sur le marché. D’autres préfèreront te racheter plutôt que de prendre ton idée. Ensuite il y a l’open source qui est une stratégie. L’open source est bien car tu n’empêches pas les autres de faire et tu rentres dans une logique où les gens ne peuvent pas t’empêcher de faire ce que tu as envie. Le brevet est assez défensif et a pour but d’empêcher de faire les choses.

Shy Innovation : L’explication que j’ai eu moi par rapport au brevet, c’est que lorsqu’on est nouveau sur un marché, c’est intéressant d’avoir de la concurrence car c’est de la communication à faire en moins.

Paul Benoit : Effectivement. Nous avons de la concurrence sur le service que l’on propose également, mais face aux géants existants, notre moyen de nous imposer est l’originalité de l’idée : plus économique, écologique, plus répartie, etc.

Par contre, ce qui arrive petit à petit, c’est que des gens commencent à réfléchir à faire des Datas Center moins concentrés, plus écologiques, mieux réparti : chaudières de calcul, etc. Ca conforte que nous ne sommes pas les seuls à aller sur ce chemin. Si tu es seul à aller dans une direction, tu peux être pris pour un fou !

Shy Innovation : A partir de quel moment sait-on qu’une idée est bonne ?

Paul Benoit : Tu ne sais jamais vraiment. Je ne vois pas le temps passer, j’ai l’impression que le dĂ©but Ă©tait hier. Il y a toujours des challenges. On ne considère jamais que ça y est ! Par contre, quand tu te retournes sur les 5 ans passĂ©s, que tu vois que c’était une carte Arduino et des barres dans un coin… quand tu vois le chemin parcouru – 350 radiateurs dĂ©ployĂ©s et on travaille sur une nouvelle version – petit Ă  petit tu vois que tu es capable de fabriquer des machines de bonne qualitĂ©, tu commences Ă  avoir des clients de renom.

Je compare ça avec une voiture : Au début tu la construis, tu la bricoles, tu mets les pneus… Ensuite, tu te dis : “Ca démarre, mais jusqu’où je vais aller ?”. Ce qui est important, c’est de savoir où tu en es pour avancer plus vite tout en sachant que rien n’est jamais acquis.

Shy Innovation : Certaines entreprises jeunes et innovantes comme la tienne ont un peu de mal à faire connaitre leur produit, à trouver des partenaires, des clients. Il existe une stratégie qui consiste à créer une communauté… L’avantage que je vois dans Qarnot Computing, c’est son côté “horizontal propriétaire” (définition sur Shyinnovation.com)…

Comment la société a-t-elle réussi à créer ses partenariats ?

Paul Benoit : Par opportunité en fait. Effectivement, comme tu disais, quand t’es une entreprise qui n’est pas connue, tu ne peux pas jouer sur ton nom pour vendre donc tu dois faire tes preuves. On a beaucoup travaillé avec la communauté Open Source qu’est Blender et qui a adoré notre projet. Elle nous a permis de faire nos preuves.

Après, il y a aussi, comme tu l’évoquais la communauté de recherche. Nous, ça nous permet de confronter nos solutions à des sujets de recherche. Par exemple, la technologie de Qarnot Computing a été utilisée pour traiter le sujet de la mucoviscidose. Ca permet ensuite de présenter tes contributions pour expliquer que ton projet fonctionne.

Shy Innovation : Il y a des entreprises partenaires qui participent au projet ?

Paul Benoit : On travaille par exemple avec Orange. Ils nous accompagnent sur la pose de la fibre. On aimerait avoir des partenaires de types différents sur la partie informatique, et on aimerait aussi intégrer quelqu’un du secteur de l’énergie. Donc ce sont des partenariats en discussion. Ca permettrait d’assoir effectivement le dépoilement de radiateurs et de puissance de calcul.

Shy Innovation : Toute l’intégration se passe ici ?

Paul Benoit : Non, nous avons des sous-traitants. Tu ne peux pas tout faire toi-même donc il y a des gens qui font les parties mécaniques, électroniques, etc. L’assemblage mécanique est fait en Normandie, et l’intégration en Ile de France. L’intégration est faite par un assembleur.

Shy Innovation : Donc ce qui est fait ici, c’est l’informatique.

Paul Benoit : Oui, ici on fait la R&D, le pilotage, pilotage de sous-traitants, etc. Pour une chaine d’assemblage il faut des locaux spéciaux.

Shy Innovation : Est-ce qu’à un moment donné dans l’expérience de l’entreprise, tu t’es retrouvé seul à prendre des décisions sur des sujets qui t’étaient alloués ?

Paul Benoit : Non, c’est très bien d’être plusieurs ! Ca te permet de confronter ton sentiment, tes idées et d’en discuter à plusieurs. Après, ça m’est arrivé de prendre la décision mais on a toujours été d’accord à ce moment là.

Shy Innovation : L’ensemble des fondateurs ont des compétences plutôt similaires ici.

Paul Benoit : Oui, plutôt similaire mais chacun a sa spécialité. Le directeur technique fait des choix techniques… après, si l’un d’entre nous souhaite adopter une orientation business discutable, c’est une décision entre nous. C’est une force d’être plusieurs et de favoriser la décision collective.

Le leadership de Qarnot Computing…

Shy Innovation : Tu as des concurrents actuellement sur cette technologie ?

Paul Benoit : Nous avons des concurrents, mais pas sur cette technologie, plutôt sur le service. La fourniture de la puissance de calcul à la demande est principalement assurée par Amazon, Google et Microsoft à côté de nous. Mais le marché du calcul intensif est un marché en plein boom, et le Cloud engendre beaucoup de choses.

Shy Innovation : On parle beaucoup de calculs, mais en réalité tu es sur deux secteurs : énergie et calcul. Tu es donc confronté à de grands opérateurs énergétiques et aussi à de grands opérateurs de calcul comme ceux que tu as cité. Comment gères-tu cela ?

Paul Benoit : L’originalité de notre modèle, c’est un modèle biface : 2 domaines qui se regardent. On propose à des gens de faire du calcul différemment car la chaleur va être utile pour des gens qui ont besoin du chauffage.

Les journaux gratuits sont biface car les annonceurs paient pour une quantité de lecteurs.

Sur le chauffage, nous n’avons pas de confrontation avec les opérateurs d’énergie. En plus on chauffe avec le déchet : la chaleur produite que l’on tente habituellement d’évacuer.

On est plutôt confronté à d’autres choses car comme le radiateur est connecté au très haut débit, on veut en profiter pour qu’il soit l’une des pierres angulaires de la maison intelligente.

En ce moment, il y a tout et n’importe quoi dans les objets connectés: brosse à dent, casserole, etc. Une interface à chaque fois, les gens en auront marre. On pense proposer une ossature numérique dans la maison, et donc on travaille avec les opérateurs sur ce sujet.

De l’autre cĂ´tĂ©, sur le calcul, nous devons nous distinguer. Nous sommes face Ă  un Cloud nouveau : le HPC (High Performance Computing ou Calcul Intensif). Il y a dĂ©jĂ  des acteurs et des entreprises qui n’ont pas encore passĂ© le pas, et donc c’est lĂ  qu’on propose quelque chose d’alternatif sur notre plateforme originale et Ă©conomique. On n’a pas l’intention de faire de l’ombre aux grands acteurs du Cloud, mais plutĂ´t de proposer des alternatives pour qu’elles puissent essayer le Cloud avec une approche responsable, avec une emprunte carbone plus faible. Pour le moment, nous travaillons avec l’industrie de l’animation 3D, celle de la banque, etc. C’est un service payant, ça a une emprunte carbone plus faible, c’est innovant… C’est comme ça qu’on se distingue !

Shy Innovation : Tu as du vivre une modification d’échelle avec la croissance de l’entreprise. Tu as du t’éloigner de la technique…

Paul Benoit : Ah oui oui oui !

Shy Innovation : Comment as tu réussi à le gérer ? Tu as eu une remise en question ?

Paul Benoit : Non au contraire ! En fait, c’est vrai qu’au début t’avais ton idée, ton bébé, tu veux que tout soit fait comme tu l’as pensé au départ. Mais là où tu prends le plus de plaisir, c’est justement quand tu nommes des responsables. C’est forcément dur de ne pas mettre son grain de sel, mais là où tu prends vraiment ton plaisir, c’est quand ça avance sans que tu ne sois là.

Shy Innovation : Du coup, t’as du perdre un peu au niveau technique.

Paul Benoit : Non, je le verrai dans l’autre sens. Moi au départ j’ai une idée… je ne suis pas omnipotent donc l’idée était de trouver un développeur logiciel qualifié, des électroniciens, etc. Moi j’ai pu montrer que c’était faisable.

Ce qui est vraiment important, c’est de montrer que c’est faisable, puis trouver les gens compétents.

Découvrir ce que c’est qu’un processus de fabrication, ce sont des choses que tu peux un peu imaginer avec l’expérience d’une grande société. J’ai aussi beaucoup appris avec Miroslav. Dans la fabrication d’objets mécaniques, tous les processus sont beaucoup plus longs que dans le monde du logiciel !

Shy Innovation : Quels sont les méthodologies qui ont été choisies ?

Paul Benoit : C’est plus l’expérience. Ca c’est des trucs, quand tu quittes l’univers de l’entreprise Corporate, tu n’es plus dans cette optique de méthodologie. Tu es dans un quotidien avec des gens… tu ne te demandes pas avec quelle méthodologie tu vas visser des vis ! Après il y a un processus de fabrication qui consiste à connaitre les bons fabricants, les processus de qualité, etc. T’apprends car t’es avec quelqu’un qui connait le sujet. C’est pareil dans le développement logiciel, dans l’électronique, la communication, le marketing, le design, etc. Il faut des gens compétents pour chacun des domaines.

Qui est la fameuse équipe symbole de l’Economie Collaborative ?

Shy Innovation : Nous allons parler un peu plus de toi et des fondateurs. Quel est ton parcours ?

Paul Benoit : J’ai une formation d’ingénieur orienté informatique : Je suis passé par l’école Polytechnique et Telecom Paris. J’ai monté une agence Web dans les années 2000. La bulle Internet a explosé au même moment, mais on a fait ce qu’on avait prévu en ciblant les PME au lieu des grands groupes. J’étais impressionné qu’avec la technologie, on arrive à proposer des solutions qui étaient vraiment intéressantes pour les PME. A l’époque, si tu savais faire un site web et une base de données, tu pouvais apporter quelque chose à une PME ! J’ai ensuite travaillé pour une banque française en R&D, en liant mathématiques et informatique. J’y ai passé 7 ans au total. Ca m’a amené en 2009… c’était la partie technique qui me passionnait : La finance ne m’intéressait pas beaucoup, en revanche les calculs et l’informatique liés beaucoup plus.

Shy Innovation : D’où viennent cette envie d’entreprendre, cette motivation, cette confiance ?

Paul Benoit : Je ne saurais pas trop te dire, il y a une chose : J’ai démarré dans les start-up Internet, ensuite je suis allé dans une grande entreprise, mais le fait que j’ai eu l’opportunité d’essayer les start-up m’a influencé pour la suite. Il y avait aussi un choix de carrière par rapport à ce que j’aimais. J’ai toujours eu une attirance pour les ordinateurs et la technique, chose que je pouvais faire en hobbys ou comme métier. J’aime bidouiller à titre personnel. Ensuite il y a les gens que tu rencontres. Ce qui est important, c’est aussi l’équipe que tu te constitues et c’est ça la véritable aventure !

Shy Innovation : Et quel est le profil des autres fondateurs ?

Paul Benoit : Aujourd’hui nous sommes 3 associés. Je suis le CEO, Miroslav SVIEZENY est le Directeur Général et a suivi une formation de commercial à l’ESSEC avant de monter une entreprise dans laquelle il faut gérer des projets d’ingénierie, et Grégoire est le Directeur Technique, et a un profil d’ingénieur spécialisé en sécurité informatique. Nous l’avons rencontré peu de temps après avoir lancé le projet, nous lui en avons parlé, et il a accroché tout de suite ! C’est un passionné amoureux des ordinateurs.

Ensuite, nous avons deux électroniciens, des développeurs linux qui développent le cœur du système, une personne au marketing, une commerciale et deux thésards. Les sujets de recherche sont aussi intéressants pour l’image.

Les effets de bord de la R&D, ou l’innovation dans l’innovation…

Shy Innovation : Est-ce qu’en 5 ans, pendant la R&D, d’autres idées ont germées ? Des choses qui vous ont été utiles mais qui sont innovantes ailleurs ?

Paul Benoit : Typiquement, le sujet principal est l’aspect Smart Home. C’est en installant nos proto de radiateurs qu’on s’est rendu compte qu’on était un objet connecté au cœur de la maison. C’était il y a 2 ans. On s’est dit qu’on devait regarder de ce côté.

Shy Innovation : Par exemple ça pourrait se transformer en Box Internet virtuelle ?

Paul Benoit : C’est un vaste débat. Aujourd’hui il y a une véritable guerre pour rentrer chez les gens. On cherche plutôt à faire du partenariat. Une box, c’est beaucoup de technologie et de R&D. On a la chance d’avoir une plateforme standard avec du matériel standard.

Shy Innovation : J’imaginais que l’opérateur développait la machine virtuelle et qu’elle était chargée dans le radiateur.

Paul Benoit : Ce n’est pas si simple que ça.

Innover en France…

Shy Innovation : On parle beaucoup de la difficulté d’entreprendre en France. Que peux-tu en dire ?

Paul Benoit : C’est un vaste sujet. Il y a des aides pour créer ton projet, il y a le chômage pour aider, on a quand même des outils pour amorcer le projet. Après, l’état d’esprit en France n’est pas celui de la Californie. Il y a de très beaux projets, l’environnement est intéressant car nous avons de très bons développeurs, de très bonnes écoles, donc environnement très propice à l’innovation.

Ce qui est plus difficile, c’est effectivement la partie clients et investisseurs : Nous sommes plus conservateurs que les Etats-Unis. En France, le cycle de négociation avec un grand compte est très long. Entre les premiers contacts et le moment où tu signes un contrat tu peux avoir entre 1 et 2 ans. Mais les discussions avancent.

Aux Etats-Unis, si tu proposes une solution bien packagée et moins cher sur des marchés de rupture (cinéma) comme le Cloud, ça peut être rapide. Les investissements peuvent être énormes là bas. Mais ce n’est pas forcément plus mal ici. Des gens disent que si t’arrives à démarrer en France tu pourras aller n’importe où ailleurs. Il y a ce côté conservateur qui fait que le temps est plus long.

Shy Innovation : Les grands comptes ont besoin de plus de détails aussi ? Ils cherchent à maîtriser la technologie ?

Paul Benoit : Non, mais les discussions sont très longues car il faut trouver leurs intérêts. Tu ne vas pas changer leur vie du jour au lendemain. En France, on démontre beaucoup les principes. Aux Etats-Unis, ils sont plus dans le concret.

Un mot pour les futurs entrepreneurs…

Shy Innovation : Aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes au lycĂ©e, collège, dĂ©motivĂ©s par les Ă©tudes. Ils commencent et on leur explique qu’il n’y aura plus d’emploi…

Paul Benoit : C’est vrai qu’on voit beaucoup de jeunes qui ont un regard très critique sur le monde dans lequel on les envoie. Mais beaucoup ont des idées ! Il y a une chose importante : les études ne sont pas faites pour trouver un boulot mais pour apprendre un métier.

L’informatique a beaucoup de valeur aujourd’hui. Mais il faut absolument que les études te forment à quelque chose que t’as envie de faire plus tard. On est dans une phase difficile. En parallèle du chômage, certaines entreprises ont du mal à recruter parce que les jeunes ne veulent juste pas travailler pour elles !

Après, il y en a beaucoup qui font des choses intéressantes en terme d’ingénierie mais qui mettent mal leurs projets en valeur. Il faut créer son bagage technique et parfois serrer les dents. Moi j’ai démarré à l’explosion de la bulle Internet (énorme crise de l’informatique avec des milliers de licenciements), donc c’était un moment difficile. Aujourd’hui, il y a beaucoup de technologies intéressantes, mais après on ne peut pas non plus dire aux jeunes de créer leurs entreprises car ce n’est pas la solution à tout. Mais c’est une option à creuser et il faut être très motivé. Je ne suis pas du genre à dire aux jeunes : “Monte ta boite”.

Au lycée, tu peux avoir l’objectif de faire des robots, et finalement du commences par autre chose. En attendant d’atteindre ton objectif, il faut que tu fasses des choses intéressantes, qui te forment, qui ne te font pas forcément rêver. Il faut garder sa motivation pour se former car on est dans un environnement où c’est important.

Shy Innovation : Le secret aujourd’hui ce serait plutôt l’adaptabilité ?

Paul Benoit : Oui. Je te parle d’un sujet que je connais d’expérience, mais après je ne suis pas un fou furieux du développement non plus. L’informatique est un sujet passionnant, mais il faut vraiment vouloir travailler pour approfondir ses connaissances.

Il faut vraiment cibler quelque chose qui te permettent de rebondir. C’est une opportunité ! Après, tu vois des jeunes qui disent “ben moi je vais faire autrement, je n’ai pas envie de postuler”. Les entreprises le sentent et construisent des Fablab pour répondre à cette nouvelle démarche. Il faut être curieux et ne surtout pas se démotiver au moment des études !

Shy Innovation : Merci beaucoup pour le temps que tu nous as accordé, je te souhaite une excellente continuation dans ce projet merveilleux qui est celui de Qarnot Computing.

Voici une présentation de 2017 de la technologie Qarnot Computing :

Voici une prĂ©sentation que Paul Benoit Ă  rĂ©alisĂ©e quelques temps après l’interview en 2015 :

Pour ceux qui veulent comprendre dans quel cadre cette technologie aura de l’influence, je vous recommande le documentaire ci-dessous :

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