Lorsque l’on pense aux assurances, il est encore difficilement concevable de penser à l’innovation, à la robotique et à l’intérêt du client d’abord. On pense plutôt à des centres administratifs vieillissants qui ont su se protéger par leur implantation dans le paysage et leur capacité financière. Des sociétés qui rechignent à rembourser quand les vrais problèmes arrivent. D’ailleurs, le secteur est tellement bien rodé que l’on vient de voir l’apparition du premier nouvel assureur français depuis trente ans : Alan. Un ami assureur m’a récemment rappelé qu’il figurait parmi les structures les plus détestées de la population après les agences immobilières.

Et si tout cela n’était un stéréotype limité à certaines compagnies d’assurances ? Et si le secteur était en train de prendre un tournant radical dans la manière d’accompagner ses clients grâce à la prévention et au déploiement de services haut de gamme accessibles à tous ? Depuis une dizaine d’année, on observe une véritable transformation du secteur de l’assurance grâce à l’intégration des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle.

Bienvenue dans le futur de l’assurance vu au travers des yeux de Scott, un client de 2030. Son assistant personnel lui commande un taxi autonome pour honorer son rendez-vous de l’autre côté de la ville. Le parcours prévu par l’assistant est envoyé à la société d’assurance qui calcule le risque d’accident ou d’incident. Elle propose alors un parcours alternatif moins risqué. Scott accepte le parcours proposé, ce qui lui permet de bénéficier d’une réduction de huit pourcent pour les vingt prochaines minutes sur son contrat d’assurance facturé à la minute.

Au moment d’arriver sur le parking, Scott choisi de passer en mode manuel et heurte malencontreusement l’un des panneaux de signalisation. Le véhicule détecte le problème et propose à Scott de prendre en photo la partie endommagée. Malheureusement, il doit aller tout de suite à son rendez-vous. Il accepte donc de payer le service d’un drone pour réaliser les photos à sa place. Pendant la réunion de Scott, le système central d’assurance évalue les dommages et demande au taxi autonome de se rendre au garage le plus proche pour effectuer les réparations avant de poursuivre ses courses.

Ce scénario a l’air de venir de très loin dans le futur. Pourtant, c’est l’un des scénarios explorés par les compagnies d’assurance aujourd’hui, et la plupart des technologies évoquées sont déjà testées. Avec les nouvelles vagues d’intelligence artificielle intégrant le deep learning comme les réseaux neuronaux convolutifs, l’intelligence artificielle est sur le point de révolutionner le monde que nous connaissons. Les sociétés d’assurance sont en train de passer du paradigme « détection et réparation » au paradigme « prédiction et prévention », transformant radicalement le processus de cette industrie. Le rythme du changement va également accélérer la transformation des métiers de courtier, consommateur, intermédiaires financiers, assureurs, et fournisseurs de biens et services qui deviendront de plus en plus adeptes des nouvelles technologies pour prendre de meilleures décisions, augmenter leur productivité, et améliorer la qualité du service rendu et l’expérience client.

Mais comme mon ami le rappel, certains assureurs ne réussiront pas à passer le cape et continueront de proposer la signature des contrats papiers avec des aller-retour de documents à la Poste et un archivage en armoire anti-feu. La signature numérique en cinq minute perturbe les habitudes, alors imaginez l’impact des nouveautés à venir. L’accompagnement du changement devra être pris au sérieux pour aider l’ensemble des collaborateurs à passer le cape.

A ce jour, il est prévu que l’intelligence transforme la manière dont sont reportées les déclarations de sinistre (claims), dont est traitée la distribution des services, et dont sont réalisées les souscriptions et le prix. Ce sont les sociétés d’assurance qui auront pris conscience de cela qui pourront former au plus tôt leurs décideurs et salariés à leurs futurs métiers.

Quatre tendances apportées par l’intelligence artificielle

Les technologies de l’intelligence artificielle sont déjà en train d’être déployées dans les sociétés, dans les habituations, les véhicules et dans nos poches. Quatre tendances ressortent en termes de transformation apportée par l’intelligence artificielle.

L’explosion des données générées par les objets connectés

Dans le secteur industriel, les capteurs sont omniprésents depuis bien longtemps, mais la présence de ces capteurs dans les objets du quotidien du consommateur est relativement nouvelle. Ces objets sont les voitures connectées, les smartphones, les montres connectées, les bracelets fitness, les assistants vocaux à domicile, etc. Nous n’en sommes qu’au début et les vêtements, les boites de médicaments, les chaussures, et bien d’autres objets sont sur le point eux aussi de devenir des objets intelligents.

L’avalanche de nouvelles données produites par ces appareils vont permettre aux sociétés de mieux en mieux comprendre leurs clients, résultant en de nouvelles catégories de produits, des prix personnalisés, et la délivrance de services contextuels en temps réel.

Par exemple, un smartphone pourrait permettre de calculer un score de risque personnel en fonction du trajet et des activités quotidiennes réalisées. Effrayant ? Cela dépend de la philosophie choisie par l’assureur. Souhaite-t-il ajuster son prix en fonction du risque ? Ou souhaite-t-il ajuster le risque en fonction du prix ? Dans l’exemple de Scott, l’assureur se place plutôt comme un coach en prévention du risque.

Aussi, une boite de médicaments qui s’assure que le traitement est correctement pris pour éventuellement invalider un remboursement serait-il un moyen de s’assurer de la santé de ses clients tout en créant une relation commerciale plus juste ?

La multiplication des robots

La robotique est sans doute l’un des secteurs que l’on ne lierait pas intuitivement aux assurances, et pourtant… les robots sont sur le point de se multiplier. Les véhicules autonomes sont des robots, les humanoïdes arrivent à grand pas avec Atlas et Assimo, l’impression 3D se place également dans cette catégorie. Nous pouvons continuer la liste avec les drones, les équipements agricoles, les robots de chirurgie comme Vinci, et beaucoup d’autres.

Rien que dans le bâtiment, l’impression 3D permettra bientôt de réaliser le gros oeuvre sur la construction d’habitations. Comment cela va-t-il impacter le risque des ouvriers ? Les sociétés spécialisées bénéficieront-elles de réductions à tel point que l’impression 3D deviendra la norme ?

Les véhicules autonomes sont vus comme le moyen de supprimer l’erreur humaine sur la route, et de réduire la consommation de carburant. Mais comment la responsabilité sera-t-elle distribuée en cas d’accident ? Certains accidents sont inévitables et les robots devront faire des choix moraux dépendants du code éthique du pays où ils circuleront. Dans Smart World, comment de simples idées deviennent-elles de grandes innovations ?, nous parlons du dilemme du tramway où le véhicule doit faire le choix de tuer l’un des deux groupes de personnes présentés car il ne peut faire autrement.

L’Open Source et les écosystèmes de données

Nous l’évoquons également dans Smart World, l’Open Source a fortement contribué à amener le digital là où il en est aujourd’hui, et il continuera à le faire. Microsoft lui-même, qui était défini comme le grand ennemi de l’Open Source jusqu’à il y a quelques années, a avoué son erreur et est devenu un allié de poids. L’open source, du point de vue industriel, c’est le moyen de partager des standards communs et de s’assurer de leur pérennité dans le temps. C’est également le moyen de rassembler un maximum de personnes autour des problématiques de cybersécurité, et ainsi de limiter le risque pour une usine par exemple d’être prise en otage par des hackers.

L’Open Data, qui consiste au partage public ou personnalisé de données, a lui aussi sa carte à jouer pour alimenter l’intelligence artificielle des compagnies d’assurance.

Avancées dans les technologies cognitives

Les réseaux neuronaux convolutifs et autres technologies de deep learning sont actuellement d’abord utilisées pour l’image, la voix et l’analyse de textes non structurés. Ils seront de plus en plus utilisés pour des typologies de données bien plus complexes telles que celles qui représentent les comportements individuels. Comme tous les services qui nous seront proposés à l’avenir, ceux des assurances seront de mieux en mieux personnalisés en fonction de nos besoins, activités et comportements.

Les trois grands axes de travail des sociétés d’assurance

Nous venons de lister quatre tendances, mais il ne s’agit en réalité que d’un extrait. Nous n’avons pas évoqué les changements culturels apportés par les nouvelles technologies, nous n’avons pas évoqué l’impact de l’intelligence artificielle et de l’ordinateur quantique sur le séquençage ADN et l’adaptation précise des traitements, des épidémies et crises futures, etc. Mais considérons déjà cet échantillon pour évaluer son impact sur les trois domaines d’activité des assurances qui sont : la distribution des services, la tarification et la souscription, et le traitement des déclarations de sinistres ou de soins.

Tarification et souscription

Grâce à l’ensemble des données disponibles sur chaque consommateur, il sera de plus en plus facile pour l’assureur de présenter un pack d’assurance adapté au besoin de chacun en un temps record. Ces données sont et seront fournies par les objets connectés en notre possession ou utilisés comme le taxi autonome. Attention cependant à ne pas oublier le principe de l’assurance qui est la mutualisation du risque à travers les assurés.

Dans le cadre de la tarification et la souscription, il y a également la phase où l’assureur ou le courtier d’assurance doit convaincre que son service vaut la peine d’être considéré. Certains cas sont extrêmement complexes et les chefs d’entreprises sont heureux de trouver un professionnel qui les rassure et qui comprend leur situation. De nombreux professionnels de l’assurance se rassurent donc sur l’avenir de leur métier en expliquant que la relation humain et le réseau sont importants. Malheureusement, c’est ce que pensaient les supermarchés avant l’arrivée d’Amazon : « les consommateurs ne feront jamais confiance aux plateformes en ligne et voudront toujours voir le produit avant de l’acheter », disait-on.

Pourquoi Amazon a réussi ? Parce qu’il a pensé différemment. Plutôt que de voir Internet comme l’affichage de flyers papiers virtualisés, la société a imaginé les multiples possibilités offertes par ce nouvel outil et en a exploité les avantages. Il a traité la problématique de la confiance en intégrant les avis vérifiés d’autres consommateurs qui avaient le même besoin que le nouvel acheteur potentiel, il a développé un service d’une qualité inégalable, il a basé son modèle économique sur le placement de produits plutôt que sur les ventes pures, etc. Et surtout, Amazon est régit par une intelligence artificielle qui apprend de l’expérience de ses clients.

Au milieu de toute cette complexité, les conseillers d’assurance seront moins nombreux parce que les applications seront plus à même de calculer les offres les plus adaptées à leurs besoins. En revanche, ils seront intégrés dans la chaîne d’apprentissage de la société qui intégrera progressivement les pratiques DevOps (ce qui se cache derrière l’apprentissage structurel d’Amazon), et devront traiter et remonter les exceptions pour faire évoluer les processus et faire apprendre l’intelligence artificielle.

Je vous recommande la lecture de The DevOps Handbook:: How to Create World-Class Agility, Reliability, and Security in Technology Organizations pour mieux comprendre DevOps.

Déclaration de sinistres ou de soins

Chacun d’entre nous bénéficie déjà de l’automatisation de la déclaration des soins grâce à la carte Vitale de l’assurance maladie. Plus besoin de remplir de longs formulaires rappelant la raison de la consultation, le numéro de sécurité social, la liste des médicaments, etc. Grâce à l’installation de plus en plus fréquente de capteurs sur les véhicules, et grâce à la généralisation de la connexion à Internet pour ceux-ci, les compagnies d’assurances pourront être prévenus instantanément des accidents pour envoyer les équipes de secours, la dépanneuse et tout le nécessaire en fonction de la gravité de l’accident. Si vous portez un bracelet fitness ou une montre capable d’évaluer votre pouls, elle sera utilisée pour évaluer la situation.

Le traitement des déclarations est l’un des gros postes des assurances aujourd’hui, et l’intelligence artificielle permettra de réduire de 70 à 90% cette charge. Ceci non seulement grâce aux capteurs de terrain, mais également grâce à une fluidification du processus de traitement apporté par l’interconnexion de plateformes et de micro-services (toujours dans l’esprit DevOps).

La gestion des déclarations se positionnera de plus en plus sur la surveillance du risque (monitoring), la prévention et l’atténuation. Cela concerne autant la santé, que le transport, le logement, l’activité professionnelle, et tous les autres axes couverts par les assurances.

Distribution

Aussi, en fonction du contrat souscrit, les clients pourront bénéficier de l’assurance payée à l’usage (usage-based insurance), avec une gamme de produits déployés en fonction de leurs profils particuliers et du contexte dans lequel ils se trouvent. On pense ici aux assurance vacances, assurances annulation pour les avions ou concerts, les assurances spécifiques aux métiers des professionnels, etc. Les plateformes en ligne contribuent également une nouvelle façon de délivrer les services d’assurance en les intégrant dans leurs services.

Conclusion

Le monde des assurances n’est pas épargné par la transformation digitale, et celle-ci promet de bousculer beaucoup de fondamentaux. La littérature est très riche sur le sujet et nous n’avons fait qu’effleurer le sujet. Nous aurions également pu parler des nombreux partenariats qui pourront être réalisés entre les sociétés d’assurances et les sociétés technologiques pour être certains d’intégrer les nouveaux standards dans leurs systèmes d’information, et de rester à la pointe, nous aurions pu insister sur la transformation des métiers de l’assurance et la nécessité d’intégrer dès aujourd’hui les nouveaux parcours de formation, et nous aurions également pu évoquer l’importance d’intégrer des personnes à même d’accompagner la construction stratégique de cette transformation. Dans cet environnement, mieux vaut être leader que suiveur et travailler sa différenciation comme ont pu le faire les compagnies d’assurance mutualistes à une époque.

Source : McKinsey

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